Née au Liban en 1992, elle vit et travaille à Beyrouth. Depuis l’âge de 16 ans, elle photographie la ville dans une approche documentaire mais aussi de recherche personnelle. « Comme un moyen d’explorer, de défier et de résister à la société », écrit-elle. Ces dernières années, la crise économique et financière que connait le pays, les manifestations monstres demandant le départ d’une classe politique corrompue, l’explosion dans le port de Beyrouth le 4 août dernier et la crise sanitaire aujourd’hui, ont profondément transformé son travail.
En réponse à l’urgence dans laquelle vit aujourd’hui le Liban, et alors que les grandes contestations ont pu faire tomber certaines barrières confessionnelles et sociales, elle répond par une production foisonnante, « presque boulimique. Car il se passe toujours quelque chose » qui peut faire basculer le pays. La série qu’elle a présentée au jury témoigne d’un Etat au bord de l’effondrement, où les colères s’agrègent, et où le désespoir de toutes les couches et classes de la population n’a d’égal que le courage et l’espoir de certains pour bâtir un nouveau Liban.
Myriam Boulos recevra une aide de 8 000 euros pour poursuivre son projet dont les premières images seront publiées prochainement en portfolio sur Mediapart. Il sera également exposé en 2022 au festival ImageSingulières à Sète.
Le jury a aussi retenu le travail de quatre autres photographes, finalistes de ce Grand Prix :
- Red Black White de Nazik Armenakyan : une série de portraits et natures mortes relatant la condition des femmes malades du sida en Arménie, femmes contaminées par leur mari ;
- Les deux pieds sur terre d’Alexa Brunet : le suivi sur des années d’adolescents devenus jeunes adultes aujourd’hui prêts à reprendre avec sérénité l’exploitation agricole de leurs parents en Ardèche ;
- Les plantes guérisseuses de Florence Goupil : l’utilisation de la médecine traditionnelle à base de plantes par le peuple indigène Shipibo-Konibo du Pérou à l’heure de la pandémie ;
- et Measure and Middle d’Ingmar Bjorn Nolting, sur la crise du Coronavirus en Allemagne.
Le feu est un élément présent au Liban depuis quelques années, peut-être même depuis bien plus longtemps.
En octobre 2019, des forêts entières étaient en flammes, et le gouvernement n'a rien fait pour y remédier. Le même mois, le pays a été frappé par une crise économique, juste après que la révolution a commencé.
Au-delà des destructions mineures qu'il a causées, le feu a été un élément de pouvoir pendant notre révolution. Il a été utilisé pour bloquer les routes et pour s'opposer au gouvernement corrompu qui nous abusait depuis des années. Comme le dira Gaston Bachelard, le feu avait également des vertus purificatrices car il consumait tous les symboles abusifs du pays dans le but de fournir de nouvelles bases sur lesquelles reconstruire nos villes. Enfin, le feu était un cri de désespoir au milieu de la dévaluation de la lire libanaise et de toutes les autres crises multiples. Nous étions loin de nous douter que le pire était à venir. Il n'y a pas de fumée sans feu, dit-on.
Le 4 août 2020, à 17h50, des pompiers ont été envoyés au port de Beyrouth pour arrêter un incendie. L'État qui les avait envoyés savait que l'endroit contenait des tonnes de nitrate d'ammonium.
À 18 h 07, le port a explosé. C'était l'une des plus grandes explosions non nucléaires de l'histoire, faisant au moins 210 morts, 7 500 blessés, 15 milliards de dollars de dégâts matériels et laissant environ 300 000 personnes sans abri.
Bien qu'il ait fallu plusieurs jours pour éteindre l'incendie initial, c'est le souffle de l'explosion qui a détruit la ville, et non le feu.
J'ai photographié les restes après l'incendie : Les histoires des survivants et j'ai l'intention de continuer à le faire.
Voici mon histoire.
4 août 2020 - Beyrouth, Liban
Quand l'explosion s'est produite, nous nous sommes cachés dans la salle de bain et nous nous sommes serrés dans les bras, en attendant de mourir. Le lendemain matin, je n'arrivais pas à croire que j'étais encore en vie. J'ai pris mon appareil photo et je suis allée dans la rue.
D'un côté, je voulais montrer d'un point de vue local ce qui nous arrivait. D’un autre côté, j'avais le sentiment que nous devions nous écouter et nous entraider, plus que jamais.
Prendre des photos a toujours été pour moi un moyen de me rapprocher de la réalité. J'essayais de réaliser ce qui nous était arrivé. Parce que tout cela était trop, beaucoup trop, toujours trop. C'est bien plus que tout ce que nos petites têtes et nos grands cœurs peuvent encaisser.
"Mais, avec les photos, nous avons la preuve concrète que nous n’étions pas en train d'halluciner." Max Kozloff
Myriam Boulos, Mars 2021
Myriam Boulos est née en 1992 au Liban, un pays fragmenté qui a du se réinventer. C’est à l’âge de 16 ans que Myriam a commencé à utiliser son appareil photo, pour interroger Beyrouth, ses habitants et sa place parmi eux. Diplomée d’un master en photographie en 2015, son travail a été exposé lors d’expositions collectives internationales telles que « Infinite identities » (Amsterdam), la Biennale des photographes du monde arable (Paris), à la Berlin PhotoWeek ou encore à « Photomed » (Beyrout).
Elle a reçu le Purple Lens Award en 2014, qui l’a conduite à sa première exposition monographique. En 2019, son travail a été exposé à l’Institut Français du Liban. Aujourd’hui, elle utilise la photographique comme moyen d’explorer, de défier la société mais aussi et de lui résister.